A plusieurs fuseaux de décalage de l'heure à laquelle sonnaient les cloches
de la rentrée scolaire en France, quelque 250 000 privilégiés empruntaient un
chemin des écoliers différent : celui, séculaire et prestigieux, des lycées
français de l'étranger, dont le plus ancien a été fondé à Berlin en 1689.
Aujourd'hui, d'Addis-Abeba à Beyrouth, du Caire à Los Angeles, de Phnom-Penh
Bogota, il en existe 430 dans plus de 125 pays, accueillant chaque année 60%
d'étrangers. Certains, comme ceux de Kaboul – un pour les filles, un pour les
garçons réouverts en 2002 – n'accueillent même aucun Français.
Outre prolonger à l'extérieur des frontières de l'Hexagone le service
public d'éducation au bénéfice de ses nationaux, l'ambition est de contribuer
par la scolarisation d'élèves étrangers, au rayonnement de la France. Et de
son excellence. De Ricardo Bofill à Jodie Foster ou Boutros Boutros Ghali, ils
ont éduqu» les grands de ce monde.
Avec un taux moyen de réussite au baccalauréat de 93%, le réseau jouit
d'une réputation qui contraint souvent les proviseurs à refuser nombre
d'inscriptions – elles ont déjà augmenté d'environ 10 000 en dix ans. Un
succès qui contredit tous les discours sur le déclin supposé de la France dans
le monde.
«Les parents nous supplient de prendre leurs enfants», raconte Yves
Thézé, proviseur du lycée français de New York, qui accueille 1 253 élèves
pour cette rentrée dont 27,5% de petits Américains, 60,5% de Français ou
binationaux, les autres représentant plus de cinquante nationalités. En juin,
le taux de réussite au bac y a été de 98% et de 100% en 2004. Et malgré des
frais de scolarité annuels s'élevant à 20 000 euros (ils sont en moyenne de 2
300 € pour l'ensemble du réseau, avec un système de bourses très efficace),
ils restent 35% moins chers que les écoles privées de Manhattan. La vague
antifrançaise n'a pas détourné les familles américaines, contrairement à ce
qui s'était passé en Australie lors de la reprise des essais nucléaires en
1995, souligne Yves Thézé, qui dirigeait le lycée français de Sydney à cette
époque.
L'ensemble des lycées français de l'étranger (qui scolarisent depuis la
maternelle jusqu'à la terminale) sont homologués par l'Education nationale :
tout en tenant compte des spécificités locales, ils dispensent un enseignement
conforme aux programmes en vigueur en France et sont reconnus par les
autorités. En revanche, ils ne sont que 178 à être conventionnés par l'Agence
pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE, dépendant du ministère des
Affaires étrangères) qui en gère directement 93. Les autres établissements ne
perçoivent donc aucune subvention de l'Etat français.
«Nous accueillons en priorité les enfants français, les enfants des
anciens élèves et la fratrie», explique Maryse Bossière, directrice de
l'AEFE. De fait, les établissements français de l'étranger composent une
grande famille, tout en étant «tout sauf refermés sur eux-mêmes,
précise-t-elle. Leur excellence tient à la motivation des professeurs
et au geste très fort qui sous-tend le choix des parents, étrangers mais aussi
français, qui font un vrai choix d'éducation pour leurs enfants.»
Pour Yves Thézé, «les moments passés dans les lycées français
l'étranger sont imprimés dans l'esprit de chacun à vie». Reflets de
l'histoire, ils en subissent parfois la gravité des crises. Le lycée de Côte
d'Ivoire a par exemple été fermé.
Dans La Leçon de français (Actes Sud), Nadine Vasseur a recueilli le
témoignage d'anciens, qui «se souviennent». En 1960, quel ques années
après que son père a été tué par les Français, Maïssa Bey, aujourd'hui
romancière, a pourtant intégré le lycée d'Alger. «J'ai toujours ét
convaincue de me trouver là où mon père aurait aimé que je sois. Parce que le
lycée français était alors ce qu'il y avait de meilleur et qu'il donnait accès
à une culture à vocation universelle», note-t-elle.
Une idée qui revient de manière récurrente dans l'ouvrage. «Tous rendent
hommage à la formation de l'esprit critique que permet l'école française dans
la filiation des Lumières, mais ne sont pas toujours tendres avec notre pays,
dénonçant son manque de modestie», dévoile Nadine Vasseur. Un autre bémol
: seuls trois anciens sur dix ont poursuivi dans l'enseignement supérieur
français.